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Des ressources sur l'histoire de la Mémoire de la Shoah
La mémoire de la Shoah a, en France, une histoire particulière : nous vous proposons une liste de références bibliographiques et filmiques pour mieux en connaître et en comprendre les étapes.
Alors que la crise sanitaire pousse à repenser les commémorations, nous vous proposons une liste de références - loin d'être exhaustive - portant sur les sujets mémoriels, autrement dit, sur la manière dont on a étudié et parlé de la mémoire de la Shoah, en particulier en France, depuis plusieurs décennies.
[La structure de cet article est inspiré par celui d'Annette Wieviorka intitulé Shoah : les étapes de la mémoire en France, paru dans l'ouvrage collectif "Les guerres de mémoire", Dir. Pascal Blanchard, La Découverte, 2008].
Pour une vue d'ensemble du sujet
- En France, l'historienne Annette Wieviorka, membre depuis l’origine des instances de la Fondation, a joué un rôle pionnier dans l'établissement et l'analyse des étapes de cette histoire mémorielle.
Dans L'heure de l'exactitude - entretien avec Séverine Nikel, elle revient sur son parcours - en particulier sur ses premiers travaux de recherche (liés à la transmission de la mémoire polonaise ou encore à la résistance juive communiste) et explique comment elle est devenue, à partir de sa thèse Déportation et Génocide, une historienne de la mémoire de la Shoah. Elle détaille notamment les contours d'une méthode spécifique, celle qui fait le choix d'une histoire essentiellement orale, s'appuyant sur la parole des témoins.
- Histoire de la mémoire de la Shoah, de Olivier Lalieu, historien spécialiste de la déportation, responsable de l’aménagement des lieux de mémoire et des projets externes du Mémorial de la Shoah, et président de l'Amicale française de Buchenwald-Dora.
La mémoire de la Shoah a une histoire. Elle commence au lendemain de la découverte des camps, en particulier de celui d'Auschwitz, par la mobilisation d'une poignée de militants qui posent les bases d'un récit difficilement audible et compréhensible. Elle s'incarne d'emblée par des commémorations et un engagement dans la société. Mais la mémoire dominante est d'abord celle de la résistance et des résistants.
En trois décennies (1960-1990), la mémoire de la Shoah va s'imposer et devenir universelle. Elle acquiert une place incontournable dans la culture occidentale et mondiale, bouleversant les représentations et les élites.
À lire aussi cet article du même auteur pour Le Souvenir français qui résume bien cette évolution.
- Dans Le mythe du grand silence, François Azouvi revient sur ce cliché d'une France qui aurait fait silence sur le génocide des Juifs après 1945. Divisant son livre en trois moments, l'auteur montre "une imprégnation progressive de la mémoire de la Shoah en France, touchant des cercles toujours plus larges : au départ les élites culturelles, puis l’espace public et enfin l’action publique".
- Depuis une génération, la Shoah est devenue, à l'échelle nationale et internationale, le paradigme du Mal absolu, l'étalon à partir duquel on évalue les autres drames collectifs. Dans Le cadre référentiel de la Shoah, Nicole Lapierre revient sur les différentes étapes de construction de cette mémoire.
Commémoration de la rafle du Vél' d'Hiv' en 1957. Crédit : Mémorial de la Shoah
L'après-guerre
La transmission de la mémoire du génocide est d'abord, et avant même la fin de la guerre, principalement une préoccupation de la communauté juive dans sa diversité, consciente que les nazis veulent non seulement l'exterminer mais aussi l'éradiquer de la mémoire des hommes. La priorité immédiate est de recueillir les témoignages des survivants pour garder la trace d'un monde disparu. Écrire et archiver tout document sur ce qui est en train de se produire est une nécessité vitale, comme en témoignent les Archives clandestines du ghetto de Varsovie, dont l'histoire est reprise dans l'ouvrage de Samuel Kassow : Qui écrira notre histoire ? Les archives secrètes du ghetto de Varsovie.
En France, dans l'immédiat après-guerre, la figure du déporté juif ne diffère pas de l'ensemble des déportés. Les 2500 rescapés juifs des camps se regroupent dans des associations d'entraide et de solidarité, qui ne cherchent pas particulièrement à s'adresser à l'extérieur et n'y sont d'ailleurs souvent pas invitées.
C'est aussi le cas des autres pays qui accueillent des rescapés juifs, mais dans cet effort pour faire émerger le souvenir, Paris va se distinguer, grâce à un homme, Isaac Schneersohn. C'est lui qui créé le Centre de Documentation Juive, ancêtre du Mémorial de la Shoah, dès 1943 à Grenoble, et qui décide d'ériger à Paris un Mémorial du Martyr Juif inconnu, sur le modèle de celui du Soldat inconnu. Avant la création de Yad Vashem à Jérusalem en 1956, ce fut longtemps la seule institution de mémoire de ce type dans le monde, comme le raconte Annette Wieviorka dans Il y a 50 ans - Aux origines du Mémorial de la Shoah.
Un jeune chercheur en histoire, Simon Perego, boursier de la FMS en 2012-2013, s'est aussi penché sur cette période, sa thèse soutenue en 2016 portant sur "Les commémorations de la Shoah dans le monde juif parisien entre 1944 et 1967", commémorations dont il montre la triple nature, "rituel sociopolitique, vecteur de mémoire et ressource identitaire".
Dans son article Du CDJC au Centre de documentation du Mémorial de la Shoah, 1943-2013 : documenter le génocide des Juifs d'Europe, il conforte l'idée "des efforts fournis par de multiples groupements juifs au sortir de la guerre pour commémorer les persécutions antisémites et le génocide, mais aussi pour en documenter et en écrire l’histoire ".
Dans un autre texte (Les commémorations de la destruction des Juifs d’Europe au Mémorial du Martyr juif inconnu du milieu des années 1950 à la fin des années 1960), Simon Perego montre comment les commémorations recouvrent un sens différent selon les organisateurs, mais aussi l'intégration progressive de la mémoire juive dans les commémorations nationales : c'est l'instauration, en 1954, de la Journée nationale de la Déportation et la présence des autorités au Mémorial du Martyr Juif inconnu dès l'année suivant son édification, lui permettant ainsi d'acquérir sa légitimité dans le paysage commémoratif national. Il montre aussi que tant dans la forme que dans leur signification, les commémorations ne font pas forcément l'objet d'un consensus, mais peuvent être source de tensions, au sein de la communauté juive elle-même.
Enfin, à propos de la manière dont est conservée et transmise la mémoire du génocide dans les diverses communautés juives à travers le monde, on peut lire l'ouvrage co-dirigé par François Ouzan : De la mémoire de la Shoah dans le monde juif.
Le criminel nazi Adolf Eichmann jugé pour crimes de guerre à Jérusalem en 1961. Crédits : Gjon Mili/The LIFE Picture Collection - Getty
Le tournant : le procès d'Eichmann
Les procès des criminels nazis ont joué un rôle essentiel dans la prise de conscience, par le grand public, aux niveaux national et international, de ce que fut la Shoah. En particulier, la procédure menée par Israël contre Adolf Eichmann, principal logisticien de la Solution finale, qui débute en avril 1961 à Jérusalem et constitue un événement historique, mémoriel et médiatique.
Dans cette émission de France Culture sur le procès Eichmann Henry Rousso et Annette Wieviorka reviennent sur ce "moment de mémoire exceptionnel" que constitue ce procès, le premier à avoir un retentissement international majeur.
Le procès Eichmann constitue une rupture, avec la dimension de "leçon d'histoire" que le Premier ministre israélien David Ben Gourion a voulu lui attribuer et en donnant de manière inédite la parole aux témoins (111 défilent à la barre), rescapés des camps et des ghettos.
Premier procès filmé en intégralité, le procès permet aussi "d'archiver la mémoire", ainsi que l'analyse Le Moment Eichmann, l'ouvrage collectif dirigé par Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka, qui revient sur la manière dont ce procès fut raconté par la presse, la radio, la télévision et sur la postérité de ces premiers récits.
Le procès entraîne de nouvelles procédures, notamment en Allemagne, qui conduisent à traduire en justice d'anciens SS du complexe d'Auschwitz-Birkenau à Francfort entre 1963 et 65 (voir les films Le procès d’Auschwitz, la fin du silence et Fritz Bauer, un procureur contre le nazisme) et initient une période de remémoration de l'extermination des Juifs d'Europe. En parallèle, celle-ci entre de plain-pied dans la conscience politique de l'État hébreu notamment lors de la guerre des Six-Jours, qui ravive dans la population israélienne l'angoisse de la destruction.
Beate et Serge Klarsfeld viennent perturber les obsèques de Xavier Vallat, ancien commissaire général aux questions juives et figure de l’extrême-droite antisémite, à Pailharès, le 8 janvier 1972. Photo Elie Kagan, Coll. Klarsfeld / BDIC
L'émergence d'une mémoire de combat
A la fin des années 1970, c'est par la télévision que la mémoire de ce que l'on n'appelle pas encore la Shoah en France, s'impose dans l'opinion publique. Le feuilleton Holocaust qui suit, sur 4 épisodes, le destin de deux familles allemandes, l’une favorable au nazisme, l’autre juive, est diffusé par la télévision américaine, puis en Allemagne, et ensuite en France. L'émotion et le retentissement sont considérables et durables.
Le président américain Carter crée une commission présidentielle sur l’Holocauste dirigée par Élie Wiesel, qui débouche sur la création de musées-mémoriaux. La mémoire du génocide devient alors un thème politique. "La même évolution s’observe en France. Pourtant, c’est moins la Shoah elle-même qui est l’objet d’interventions publiques que les responsabilités propres de Vichy dans la déportation des Juifs de France". (AW)
On assiste alors dans notre pays à l'émergence d'une mémoire à la fois dénonciatrice des complicités de Vichy et constructive par l'établissement du Mémorial de la déportation des juifs de France. En l'occurrence, c'est le couple franco-allemand Beate et Serge Klarsfeld qui joue là un rôle central, bientôt soutenus par l’association qu’ils ont créée en 1979, Les Fils et Filles de Déportés Juifs de France. D'un côté, ils élèvent un mémorial de papier en dressant la liste des noms des 76 000 juifs déportés depuis la France, notamment des enfants ; de l'autre, ils enquêtent pour retrouver les criminels nazis.
En 1985, la sortie du film-événement de Claude Lanzmann, Shoah, marque un tournant dans la manière d'appréhender l'extermination des Juifs d'Europe.
Les procès du nazi Klaus Barbie (1987), du milicien Paul Touvier (1994) et du haut-fonctionnaire de Vichy Maurice Papon (1997), tous trois jugés pour crime contre l'humanité, achèvent enfin de faire entrer la Shoah dans la mémoire collective nationale.
La reconnaissance et l'inscription dans l'espace et l'agenda publics
Si le président Mitterrand consent, en 1993 et sous la pression, à instituer une Journée nationale de commémoration des "persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite “gouvernement de l’État français (1940-1944)", qui entraînent l'érection de monuments mémoriaux et de stèles, en divers endroits de la persécution nazie contre les juifs (emplacement du Vel d'hiv, camps d'internement, maison d'Izieu), c'est à son successeur, le président Chirac, que l'on doit la reconnaissance officielle de la responsabilité de la France dans l'arrestation et la déportation des juifs, lors de la commémoration de la rafle du Vel d'hiv' en 1995.
Cet acte politique lève l'ambiguïté du rapport des autorités nationales à la période de l'Occupation comme l'analyse le film Vichy, la mémoire empoisonnée. Il a des conséquences essentielles, comme la création d'une Mission d'études sur la spoliation des biens des Juifs de France, dont les conclusions sont rapidement mises en oeuvre à travers la création de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations et de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
En réalité, le discours de Chirac ne fait que se conformer aux sources historiques qui ont établi la responsabilité du gouvernement de Vichy. 25 ans plus tard, cette implication continue d'être étudiée comme le montre la remarquable synthèse de l'historien Laurent Joly sur la persécution des Juifs sous l’Occupation en France : L'État contre les Juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite.
En trois décennies, la mémoire de la Shoah a acquis une place centrale en France, que ce soit en politique, dans l'éducation, comme dans les médias et la culture, ainsi que le montre Floriane Schneider, ancienne boursière de la FMS, dans son livre Shoah : dans l'atelier de la mémoire. France, 1987-2012.
Le dernier épisode marquant de l'inscription de cette mémoire de la Shoah dans le paysage national, c'est l'entrée des Justes de France, et des Français anonymes qui ont sauvé des Juifs, au Panthéon en janvier 2007, sur proposition de Simone Veil, alors présidente de la FMS, au président Chirac. Sur le sujet des Justes, voici une référence parmi de nombreux titres : Histoire des Justes de France de Patrick Cabanel, et en lien avec les politiques mémorielles, on peut lire l'ouvrage de Sarah Gensburger Les Justes de France - Politiques publiques de la mémoire. Et pour un élargissement aux autres génocides : La résistance aux génocides, dirigée par Jacques Sémelin, Claire Andrieu et Sarah Gensburger.
L'histoire retiendra sans doute de 2020 le caractère inédit des commémorations en temps de pandémie. Confinement oblige, les célébrations se sont tenues sans public et en ligne, mais leur sobriété n'a rien enlevé de leur solennité et de leur installation durable dans la mémoire nationale.
En Podcast
La page Histoire : mémoires de la Shoah de France Culture propose un dossier assez complet sur le sujet avec des émissions sur les procès, la préservation du camp d'Auschwitz, l'apport de la micro-histoire, raconter la Shoah sans les témoins...