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Prisonniers de guerre juifs de l'armée française 1940-1945 - Delphine Richard
Cette thèse retrace l’histoire mal connue de 13 000 Juifs de France, prisonniers de guerre en 1940, envoyés en stalags ou en oflags. Protégés par leur statut de prisonnier de guerre défini par la Convention de Genève de 1929, ils survivent et sont libérés par les troupes alliées en 1945.
Lors de la débâcle de l’armée française, la Wehrmacht capture environ 15 000 soldats juifs français et étrangers engagés volontaires. Près de 13 000 d’entre eux sont bientôt transférés en Allemagne et répartis sur l’ensemble de son territoire dans des camps militaires, les stalags et les oflags. Protégés par leur statut de prisonnier de guerre tel qu’il est défini par la Convention de Genève de 1929, ces Juifs de France sont libérés par les troupes alliées en 1945.
Bien qu’exceptionnelle, cette histoire demeure méconnue et peu renseignée. Qui sont ces hommes ? Comment se déroule leur captivité de guerre au quotidien ? Comment expliquer le maintien de leur protection statutaire ? Afin de répondre à ces questions, la thèse de Delphine Richard s’attèle à dessiner leur histoire en conjuguant des perspectives macro et micro historiques.
S’ouvrant par un retour sur enquête, la première partie veut mieux cerner la cohorte de ces soldats juifs en allant au-delà de leur seule évocation en tant que groupe. À l’appui d’un échantillon représentatif de près de 4 000 d’entre eux, l’étude de cette petite minorité de Juifs de France venus d’horizons très variés permet d’illustrer toute la diversité de la "communauté juive" de France de l’entre-deux-guerres et d’exhumer l’histoire presque enfouie de son engagement patriotique. Elle vise aussi à insérer leur histoire atypique dans le contexte général de la captivité de guerre et de la persécution généralisée qui s’abat alors sur tous les Juifs d’Europe sous domination nazie.
Papier d'identité d'un prisonnier portant le mot "JUD"
La deuxième partie dépeint l’expérience captive de ces hommes. Des débuts de la captivité avec son lot d’incertitudes et ses conditions pénibles, à leur vécu quotidien difficile, solidaire et contrasté, elle tente de décliner la large gamme des situations individuelles et collectives des prisonniers de guerre juifs. Abordée "par le bas", cette histoire quotidienne incarnée s’efforce de pénétrer concrètement l'univers matériel, moral et intime des prisonniers, pointant les difficultés de leur condition de Juif dans les stalags et oflags tout comme sa diversité.
Nourrie par cette étude de terrain, la troisième partie essaye de comprendre les positions respectives de Vichy, du CICR et des Allemands vis-à-vis du problème que pose le sort de prisonniers que leur statut protège alors même que leur identité les place en danger de mort. Bien que les sources soient particulièrement lacunaires sur cette question lourde d’enjeux d’histoire et de mémoire, elles permettent néanmoins de constater que du côté allemand, la survie de ces Juifs semble ne tenir qu’à un fil tout au long de la guerre. En tout cas, rien n’indique qu’au sein du régime nazi, la Wehrmacht ait œuvré pour défendre leur protection militaire, bien au contraire. Or, face au danger qui plane, les actions concrètes du gouvernement de Vichy s’avèrent très limitées, pendant que le CICR se montre tout aussi prudent, voire passif. Au final, tout se passe comme si le Reich ne portait pas atteinte à leurs existences en raison d’une logique pragmatique animée par la crainte d'éventuelles complications diplomatiques : sa défaite a sans doute sauvé ces Juifs toujours considérés comme des otages en sursis.
Enfin, l’épilogue qui vient clore l’étude s’intéresse au retour chaotique de ces hommes sur le territoire français. Si ceux qui retrouvent la France exsangue de 1945 font face à de grandes difficultés matérielles et à des tragédies familiales, découvrant de plein fouet l’ampleur du drame auquel ils ont échappé, ceux qui parviennent à regagner plus tôt la France occupée deviennent dès lors des Juifs comme les autres, et subissent la persécution généralisée.
La carte des Stalags et Oflags
Cette thèse, dirigée par Laurent Douzou, a été soutenue par Delphine Richard, ancienne boursière de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, le 16 juin 2022.
Le jury était composé de : Janine Doerry, docteure en histoire, Stiftung niedersächsische Gedenkstätten - Gedenkstätte Bergen-Belse ; Laurent Douzou, professeur des universités émérite ; Fabrice Grenard, directeur scientifique de la Fondation de la Résistance, HDR ; François Heilbronn, professeur associé à Sciences Po Paris, vice-président du Mémorial de la Shoah ; Laurent Joly, directeur de recherches au CNRS ; Jean Solchany, professeur des universités, Sciences Po Lyon ; Annette Wieviorka, directrice de recherche émérite au CNRS.
En 2019, la Fondation Ernest et Claire Heilbronn a attribué à Delphine Richard son prix de la recherche, sous forme d'une bourse doctorale.
Dans une version abrégée (elle compte 1463 pages), sa thèse devrait faire l'objet d'une publication prochaine.
Prisonniers de guerre portant l'inscription "JUD" sur leur uniforme.