Lutte contre l'antisémitisme | Activités culturelles

Questions à Jérôme Disle sur la méthode d'une association de terrain - Espoir 18

Espoir 18 accueille depuis plus de 20 ans des jeunes de 15 à 25 ans dans le 18ᵉ arrondissement de Paris pour les aider dans leurs parcours d'insertion scolaire et professionnelle. Depuis 2022, elle est soutenue par la Fondation pour ses actions de terrain dans le domaine de la lutte contre l'antisémitisme. Son directeur, Jérôme Disle, dresse un bilan de ces actions et explique ses méthodes. 

Depuis 2022

Jérôme Disle, est le fondateur et le directeur général de l'association Espoir 18 créée en 2002. Elle comporte six structures d'accueil dans le 18ᵉ arrondissement de Paris pour répondre aux besoins des jeunes de 15 à 25 ans, développer leurs potentiels à travers le sport, l'art - photo, vidéo...-, la culture (sorties au musée, au théâtre...), les mobilités : les déplacements inter-quartiers pour éviter les conflits, les séjours de loisirs individuels ou de groupe, en France et à l'étranger et les séjours mémoriels, les résidences artistiques, les déplacements dans des festivals culturels - Avignon, Cannes, Visa pour l'Image à Perpignan... Nous lui avons posé quelques questions :

Combien de jeunes touchez-vous et avec quels moyens ?
Nous touchons au total 2 000 jeunes par an avec une équipe de 35 animateurs diplômés et quelques assistantes sociales. Nous touchons principalement un public en difficulté, sociale et parfois de délinquance. Très implanté dans le quartier, nous n'avons pas de difficulté à faire venir les jeunes. Notre objectif est d'abord l'accompagnement scolaire d'excellence. Nous avons une mixité de genre et nos espaces sont des espaces de proximité, certains jeunes y passer énormément de temps, il y a également des parents qui participent aux activités, essentiellement des mères célibataires. 

Comment en êtes-vous venus à développer des actions de lutte contre l'antisémitisme ?
Si notre cœur de métier est l'insertion sociale et professionnelle, nous avons pris conscience, lors des attentats de 2015, que cela ne suffisait pas. Nous avons été sollicités à ce moment-là pour proposer des projets de lutte contre la radicalisation et nous avons commencé à travailler sur les sujets de la citoyenneté, l'adhésion aux valeurs de la République, le respect de la laïcité, la déconstruction des préjugés et la lutte contre les discriminations, le racisme et l'antisémitisme. 

Quels outils spécifiques avez-vous alors développés ?
Nous nous appuyons beaucoup sur nos "ambassadeurs", des jeunes qui sont à nos côtés depuis des années, qui au départ ont beaucoup de préjugés, et que nous amenons peu à peu par des prises de responsabilité, des actions concrètes, à remettre en cause leurs préjugés jusqu'à devenir des exemples pour les autres. Ils portent alors un autre discours, parlent de leur évolution. Je pense par exemple à Kajali Susso, le jeune champion de France de kick-boxing qui a été porteur de la flamme olympique cet été et l'a transmise à Léon Placek, ancien déporté, au Mémorial de la Shoah. 
Pour amener les jeunes à réfléchir à ce que c'est l'antisémitisme, un bon "outil" est de les sensibiliser à d'autres génocides par exemple celui des Tutsi qui les touche de près parce qu'il concerne des personnes qui leur ressemblent. Ils rencontrent des survivants de ce génocide et s'identifient à eux. 
Le travail mémoriel, j'y crois beaucoup. Ces derniers temps, on entend beaucoup de remises en question du rôle central dans la lutte contre l'antisémitisme de la connaissance de l'histoire de la Shoah. Personnellement, j'ai constaté au contraire que les visites mémorielles sont capitales. 
Mais il faut aussi aborder l'actualité et d'une façon franche, directe. Après 2015, nous organisions des "Ateliers radicalisation". Maintenant, nous proposons des "Ateliers Israël Palestine" avec des intervenants qui permettent une ouverture d'esprit sur ces sujets, comme par exemple Hanna Assouline et ses guerrières de la paix.
Nous travaillons beaucoup aussi autour des combats communs des Noirs, des Arabes et des Juifs pour l'émancipation, l'égalité. 

Espoir 18, la méthode d'une association de terrain - Questions à Jérôme Disle

Photo de couverture : Le champion de France de kickboxing Kajali Susso et Léon Placek, survivant de la Shoah © Mémorial de la Shoah

Photo ci-dessus : Kajali et la maire de Paris devant le Mémorial de la Shoah en juillet 2024 © Espoir 18

Qu'est-ce qui a changé dans vos actions depuis un an ?
Depuis le 7 octobre, nous avons amplifié nos actions de lutte contre l'antisémitisme, nous avons mis en place des débats mixtes, par exemple avec Dominique Sopo de SOS Racisme et Jonathan Hayoun, le réalisateur de la série d'arte L'Histoire de l'antisémitisme, qui est un habitué chez nous. Nous avons organisé une projection-débat du documentaire "Une terre deux fois promise". Dans les groupes de participants, nous veillons à mêler des jeunes un peu tranchants avec des jeunes plus modérés, ce qui permet le dialogue avec des régulations qui se font d'elles-mêmes.

Comment jugez-vous de l'efficacité de vos méthodes ?
Nous avons recours à des dispositifs d'évaluation de nos dispositifs qui permettent de voir comment individuellement les jeunes évoluent au fil des années. 

Parlez-nous de l'intérêt des sorties mémorielles et des voyages ?
Nous faisons beaucoup de sorties au Mémorial de la Shoah, dans d'autres lieux de mémoire : Rivesaltes, le Struthof, Auschwitz, Dachau, l'île de Gorée... et dans des lieux de la culture juive comme le mahJ mais aussi des lieux de la culture musulmane. Les voyages lointains permettent de découvrir une autre façon de voir. Une anecdote : aux États-Unis, lors de la tournée de Bad Mama soutenue par la Fondation, des jeunes Français d'origine africaine ont pu discuter avec des Afro-américains et ont été stupéfaits de voir que pour eux l'Afrique n'était pas une référence : ce n'est pas le continent de leurs parents mais de très lointains ancêtres. 
Nous fonctionnons beaucoup autour de la notion de projet. Les jeunes participent à un projet à long terme, dont le voyage est l'objectif ultime. Quand il s'agit d'une pièce de théâtre, ils écrivent la pièce ; pour Bad Mama ils l'ont appris en anglais pour participer à la tournée. La mobilité est un outil pédagogique très performant mais il faut un contenu riche dans le projet pour que ça ait un sens de faire un voyage.  

Espoir 18, la méthode d'une association de terrain - Questions à Jérôme Disle

La rencontre avec Hanna Assouline à l'Ecuje © Espoir 18

Est-ce que la déconstruction de l'antisémitisme est la mission la plus difficile que vous assurez ? Abordez-vous l'aspect religieux ?
Espoir 18 est un lieu où règne la confiance et c'est pour cette raison que les échanges se déroulent bien, que le respect de l'égalité entre les hommes et les femmes se fait, que l'on peut discuter de toutes les questions, même les plus délicates, par exemple l'homophobie c'est très délicat parce que ça a trait à l'intime et à la religion. Il est plus compliqué de déconstruire les préjugés liés à l'homophobie que ceux conduisant à l'antisémitisme.
Nous organisons des rencontres autour d'un rabbin et d'un imam mais le meilleur moyen d'engager le dialogue interculturel, c'est autour de la cuisine, la nourriture : je les ai déjà emmenés manger des falafels et ils ont beaucoup aimé et j'aimerais organiser des cours de cuisine juive. 

Comment l'aide de la Fondation vous permet de développer ces actions depuis 3 ans ?
Quand je discute avec mes interlocuteurs à la Fondation, je leur explique que globalement le sujet de l'antisémitisme, des Juifs, d'Israël, la majorité de nos jeunes y sont indifférents. Ce n'est pas au centre de leurs préoccupations. Il n'y a pas que les préjugés, il y a aussi l'indifférence. Notre enjeu à nous est donc aussi de faire des choses différentes, de les amener tout doucement à aller avec nous dans un lieu mémoriel, à regarder des films assez difficiles sur le Rwanda ou sur la Shoah.
Nous avons un public non captif, on a donc une obligation de les intéresser : ce n'est pas l'école, ils ne sont pas obligés de nous écouter. C'est à la fois notre force mais en même temps ça nous oblige à nous challenger continuellement dans ce que nous développons avec nos jeunes, comme ces capsules vidéo qu'ils réalisent avec l'aide d'un metteur en scène sur des sujets très variés.
Grâce à des soutiens comme celui de la Fondation, nous pouvons aller de plus en plus loin. Nous sommes même reconnus maintenant comme des sortes d'expert, nous sommes en discussion avec la Dilcrah pour développer des programmes au niveau national mais aussi avec l'OFAJ (Office Franco-allemand pour la jeunesse). Il y a quelques années, nous avons beaucoup travaillé sur les rapports police-jeunesse et nous avions acquis une expertise au point qu'on nous demandait des kits de formation sur le sujet.
L'aide de la FMS est précieuse aussi parce que c'est une carte de visite pour trouver des financements à une époque où c'est de plus en plus compliqué. Mais la Fondation est exigeante vis-à-vis de nous, elle nous demande de nous former encore davantage afin d'être sûrs que nos actions de lutte contre antisémitisme ne sont pas diluées dans la lutte contre le racisme. Nos animateurs sont formés par des formateurs que vous connaissez bien comme Jonathan Hayoun et Judith Cohen-Solal ; nous avons été conduits à nous rapprocher d'organismes comme l'ECUJE, l'espace Rachi ce qui est très bien parce que ça nous a fait monter en compétences, ça diversifie nos sorties. Nous avons aussi rendez-vous prochainement avec les responsables pédagogiques du Mémorial, et nous allons organiser une rencontre avec Léon Placek et nous l'espérons avec Ginette Kolinka ou Esther Senot.
 


Les actions de lutte contre l'antisémitisme d'Espoir 18 en 2024 ont été soutenues par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. 

Capsule vidéo par des jeunes d'Espoir 128 autour de l'antisémitisme