Enseignement | Projet pédagogique
Partager et se souvenir : sur les traces d'une jeune fille déportée
Au collège Lucie Faure (Paris XXe), des professeurs ont engagé leurs élèves de troisième dans un travail de longue durée pour reconstituer le parcours des cinq jeunes filles déportées dont les noms figurent sur la plaque commémorative, à raison d'une enquête par an. Ces deux dernières années scolaires, ils ont consacré leurs recherches à Chana Finkielsztjan puis à Estelle Lublinski.
Sur chaque établissement scolaire parisien fréquenté sous l'Occupation par des enfants juifs qui furent ensuite déportés, est apposée une plaque commémorative qui rappelle le nom, l'âge et le destin funeste de ces enfants. La plaque du collège Lucie Faure, dans le XXe arrondissement, comporte cinq noms.
Des professeurs de différentes disciplines (français, anglais, histoire-géographie, mathématique, allemand, documentation, arts plastiques...) ont lancé un projet ambitieux : une enquête pour connaître l'histoire de ces cinq jeunes filles déportées, à raison d'une par an.
Pour l'année scolaire 2020-2021, des élèves de troisième se sont penchés sur le parcours de Chana Finkielsztjan.
Le but était, pour eux, de construire des connaissances ou d’affiner leurs représentations de l’Occupation, l’émigration, la déportation, le rôle de la police, l'absence et la perte, le souvenir, le témoignage ou même la mode vestimentaire… à partir d'ateliers en classe entière ou en petits groupes, menés par l'équipe enseignante et des intervenants extérieurs.
Croquis de Damien Roudeau, illustrateur qui accompagne le projet. © Collège Lucie Faure
Initié par le professeur d'arts plastiques, convaincu que sa discipline peut être un bon moyen de transmettre la mémoire de la Shoah, le projet a été développé en impliquant des professeurs d'autres matières.
Pour recueillir des informations sur Chana Finkielsztjan, les élèves ont écrit en anglais des courriels notamment aux institutions susceptibles d'en avoir (Yad Vashem, l'USHMM de Washington, le Musée national Auschwitz-Birkenau), et au frère de Chana, Marcel Finay, qui a survécu et rempli les fiches du mémorial de Jérusalem en 2005 et en indiquant son adresse de l'époque.
En histoire, les élèves ont étudié la vie des immigrés juifs polonais à Paris dans les années 1920 et 1930 en imaginant ce qu'aurait pu être l'existence des parents de Chana, Pessa et Moszek (nés tous deux à Varsovie, respectivement en 1904 et 1900). Leur professeur s'est notamment appuyé sur l'ouvrage d'Ivan Jablonka Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus (Seuil, 2012) et sur le documentaire Les enfants du 209 rue Saint-Maur, Paris Xe de Ruth Zylberman pour les accompagner dans ce travail.
Les collégiens ont par ailleurs été accompagnés par Aurélia Raoull (réalisatrice) et Pascale Mons (ingénieure du son) pour la réalisation d'un reportage vidéo, par le dessinateur Damien Roudeau pour des croquis et la mise en page d'un ouvrage et par Patrick Laurin, artiste thérapeute qui a abordé la question de la disparition via un dispositif artistique permettant de faire ressentir la présence et l'absence de Chana.
Dispositif artistique permettant de faire ressentir la présence et l'absence de Chana, imaginé par l'art thérapeute Patrick Laurin avec les élèves. © Collège Lucie Faure
Une promenade dans le XXe arrondissement, commentée par Stéphane Meusnier, a par ailleurs permis au groupe de découvrir différents lieux associés à l'occupation ou aux Juste parmi les Nations, et de poser un regard différent sur leur quartier.
Différentes rencontres et visites étaient également prévues, au Mémorial de la Shoah et au Mémorial de Caen notamment. Mais une partie du calendrier a été bousculée par la crise sanitaire.
Malgré cela, le travail a continué tout au long de l'année et a abouti à différentes restitutions, et notamment un podcast sur les enfants déportés du Vél' d'Hiv et une exposition, inaugurée fin mai au collège Lucie Faure, qui propose différents panneaux décrivant les recherches menées par les élèves et présentant les œuvres réalisées durant l'année.
Les différentes étapes de ce parcours sont retracées sur le blog du collège.
Ce projet pédagogique a été récompensé du prix Petit Lafue 2021. Les élèves se verront remettre leur prix le jeudi 3 juin 2021 à la Mairie du VIe arrondissement de Paris.
Inauguration de l'exposition au collège Lucie Faure, le 28 mai 2021. © Dominique Trimbur / FMS
Pour l'année scolaire 2022-2023, les élèves ont travaillé sur les traces d'une autre élève juive, Estelle Lublinski, 9 ans, arrêtée avec sa maman pendant la rafle du Vél d'Hiv et déportée au camp de Pithiviers, puis assassinée à Auschwitz.
Les élèves ont d'abord travaillé sur la rafle du Billet vert et l'internement des hommes pendant un an à Pithiviers puis sur la rafle du Vél d'Hiv. Le point d'orgue de leur enquête a été une journée à la découverte des camps d'internement du Loiret, avec une visite du Cercil à Orléans pendant laquelle ils ont pu constater qu'il n'existait pas de photos d'Estelle dans la pièce intitulée Mémorial des enfants du Vél d'Hiv comportant 4 400 cases comme autant de "tombes". Celle d'Estelle est vide.
L'après-midi, ils ont visité l'ancienne gare de Pithiviers devenue lieu de mémoire et d'exposition, inaugurée en juillet 2023. Cette visite a donné lieu à une restitution sonore en 14 séquences de quelques minutes.
Les élèves ont cette année aussi travaillé avec leur professeur d'art plastique et l'artiste Patrick Laurin autour de la notion d'absence et de souvenir. Un film retrace leurs travaux.
Le projet est soutenu pour les différentes années scolaires par la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
Dessins réalisés lors de l'atelier art plastique sur le thème de "L'absence au souvenir" autour de la figure d'Estelle Lublinski