Lutte contre l'antisémitisme | Revue
La Revue K. après le 7 octobre
La revue "K. Les Juifs, l'Europe, le XXIe siècle" diffusée sur internet a été créée pour explorer et analyser le phénomène de la présence juive en Europe et de l’antisémitisme. Depuis le 7 octobre, les auteurs de la revue se sont mobilisés pour proposer analyses et réflexions, afin de comprendre les enjeux de cet événement majeur pour l'histoire d'Israël et de la diaspora. Décryptage avec Bruno Karsenti, philosophe et membre du comité de rédaction.
La revue "K. Les Juifs, l'Europe, le XXIe siècle" diffusée sur internet a été créée pour explorer et analyser le phénomène de la présence juive en Europe et de l’antisémitisme. Depuis le 7 octobre 2023, les auteurs de la revue se sont mobilisés pour proposer analyses et réflexions, afin de comprendre les enjeux de cet événement majeur pour l'histoire d'Israël et de la diaspora. Décryptage avec Bruno Karsenti, philosophe et membre du comité de rédaction.
Lors d’un bilan d’étape en octobre 2022, 18 mois après le lancement de la revue K, son rédacteur en chef Stéphane Bou constatait que l’actualité de l’antisémitisme était venue « percuter voire déborder » ce projet d’une revue en ligne sur le phénomène de la présence juive en Europe. Aujourd’hui, ce constat n’est-il pas encore plus vrai ? Comment la rédaction a-t-elle réagi après le 7 octobre ?
Avec le 7 octobre, il nous est apparu plus évident encore que la revue K. devait parler de l’actualité et de ce qui arrive aux Juifs et en Israël, et cette problématique originelle L’Europe / la diaspora / Israël se trouvait être plus que jamais pertinente. Évidemment, le 7 octobre nous a sidérés par sa violence, mais nous n’avons pas été désarçonnés, car nous avions les codes pour comprendre le déchaînement qui allait suivre. Réunis dès le lendemain, le 8 octobre, nous avons fait paraître un éditorial intitulé Israël – l’avant et l’après, qui a été publié peu après dans le journal Le Monde. Nous avons immédiatement compris que cet événement allait resserrer les rapports entre Israël et la diaspora, mais nous avons aussi largement prévu ce qui allait se passer ensuite, à savoir, d’un côté la mise à l’épreuve de la politique militaire israélienne, avec le poids qu’y joue malheureusement l’extrême droite, et de l’autre le renversement de l’événement du 7 octobre, dans l’opinion publique mondiale, en « faute israélienne ». Il faut rappeler que l’événement est intervenu alors que le mouvement démocratique contre la politique réactionnaire de Netanyahou était en plein essor, tendance que nous avions accompagnée et à laquelle nous avions donné de l’écho dans la revue. Tout a été bouleversé et interrompu par la guerre. Mais nous n’avons évidemment rien oublié, ni du contexte dans lequel elle a éclaté, et des enjeux existentiels qu’elle soulève.
Arche de Noé, Ephraim Moses Lilien, 1914, wikicommons
Comment avez-vous analysé le 7 octobre, ses suites et ses conséquences ?
Jusqu’en janvier 2024, tous nos numéros ont été consacrés au 7 octobre, en restant fidèles à notre ligne qui consiste à proposer des formats différents. Ainsi, nous avons publié des textes de réflexion (Depuis le pogrom, que j’ai co-écrit avec Danny Trom sur l’après 7 octobre et le positionnement du monde juif, par exemple), mais aussi des réactions des acteurs vivant en Israël, des analyses d’historiens, comme celles de Tal Bruttmann interviewé par Stéphane Bou, et de Saul Friedländer, ou encore des entretiens avec des personnalités. Fin novembre, Julia Christ a écrit un texte précurseur sur les viols de masse commis le 7 octobre qui a été largement repris à l’étranger.
Nous n’avons de cesse aussi de penser « l’après ». Ainsi, nous avons proposé des analyses lucides sur la nécessité pour Israël de se défendre (sur le concept de vengeance par rapport à la guerre juste), mais aussi sur l’impératif de respecter le droit international, et de ne pas réduire la population de Gaza à la figure de l’ennemi. Constamment, nous avons maintenu la volonté de décrire ce qui serait un avenir possible pour les deux communautés, palestinienne et israélienne. Nous avons ainsi donné de la place aux voix palestiniennes opposées au Hamas, et légitimes dans leur protestation contre la politique israélienne conduite par Netanyahou.
Par ailleurs, nous avons largement documenté et décrit la forte hausse de l’antisémitisme en France et en Europe qui a suivi le 7 octobre. La grande manifestation du 12 novembre nous a inspiré un commentaire sur la nécessité de distinguer antisémitisme et racisme, ce que ne sait pas faire la gauche, faiblesse qu’exploite de son côté la droite. Nous avons également été extrêmement critiques sur les positions de l’extrême-gauche et sa manière de qualifier le Hamas de « résistance palestinienne ». Nous essayons de porter le bon diagnostic sur la montée de l’antisémitisme, chez nous, mais aussi aux États-Unis, dont le soutien à Israël est fortement mis à l’épreuve par la guerre actuelle. Nous avons publié un texte important de Jean-Claude Milner sur cette question, que nous avons assorti d’un commentaire de la revue. Sur l’antisionisme à proprement parler, une étude de Julia Christ a porté un regard aigu. Enfin, je signe prochainement un article sur le genre particulier d’antisémitisme qui traverse les mobilisations étudiantes, à Sciences Po et dans plusieurs universités françaises.
Qu’est-ce qui a changé pour la Revue K. depuis le 7 octobre ?
Nous avons triplé notre audience et gagné en visibilité, ce qui nous a conduits à être sollicités régulièrement par des radios et des journaux. Nous avons accueilli dans nos colonnes de nouveaux auteurs, comme Eva Illouz, qui a pris des positions très courageuses sur le milieu de la gauche universitaire.
À partir de janvier, nous avons recommencé à évoquer des sujets plus généraux : un entretien avec le grand historien Carlo Ginzburg réalisé par Avishag Zafrani, l’élection de Javier Milei en Argentine analysée par un philosophe politique, ou une série d’enquêtes sur l’antisémitisme en Europe publiées en collaboration avec la Dilcrah.
Mais le rythme n’a cependant jamais repris normalement, car la plupart des numéros sont encore consacrés à la situation en Israël. Récemment, Julia Christ et Elie Petit sont allés sur place pour réaliser des entretiens et des enquêtes auprès de différents acteurs, israéliens et palestiniens, que nous publions chaque semaine. Ce travail est complètement inédit dans le contexte éditorial français, et contribue à faire tomber beaucoup de préjugés.
Cependant, la revue K. reste une petite équipe qui n’a pas beaucoup plus de forces vives qu’avant. Nous avons donc toujours besoin d’augmenter nos moyens à travers des dons, afin de commander des reportages et d’accroitre notre présence sur les réseaux sociaux.
La Fondation pour la Mémoire de la Shoah soutient la revue K. depuis son lancement en mars 2021.