Culture juive | Exposition
Le Dibbouk - Fantôme du monde disparu
Quel est le point commun entre Nathan Altman, Marc Chagall, Léonard Bernstein, les frères Coen, Romain Gary, Michal Waszynski, Sidney Lumet ou encore Sigalit Landau ? Une figure de la mythologie juive et kabbalistique, le dibbouk, l'esprit d'un mort, dont l'âme vient s'attacher au corps d'un vivant et ne le quitte pas. Il ne lui veut ni du bien. ni du mal. Il l'accompagne. À travers une centaine d’œuvres, l'exposition explore la figure du dibbouk dans les arts visuels, dans un parcours mêlant peinture, dessin, photographie, théâtre, cinéma, littérature et culture populaire.
Entre 1912 et 1914, An-ski (Shloyme Zanvl Rappoport, dit An-ski, né à Tchachniki en Russie en 1863 et mort à Otwock ou Varsovie, en 1920), un intellectuel juif socialiste, organise une expédition ethnographique dans des hameaux de Biélorussie et d'Ukraine, où prospèrent les communautés juives hassidiques. L'intuition d'An-ski, guidé par sa démarche "préservationniste", consiste à montrer que le folklore juif constitue une "nouvelle Torah", un« Nouveau Testament, destiné au plus grand nombre. Équipés d'appareils photos et de magnétophones, An-ski et son équipe recueillent de vieilles légendes juives, des partitions musicales, des amulettes, des pierres tombales, des objets de culte, des bijoux..., photographient les anciennes synagogues, afin de constituer un corpus dans lequel puiseront immédiatement plusieurs artistes juifs de la première moitié du XXe : Marc Chagall, Nathan Altman, lssachar Ber Ryback, El Lissitzky, Robert Falk, qui vont transformer leurs traditions en avant-garde. Alors que tant d'artistes européens découvrent les masques et fétiches d'Océanie et d'Afrique, une génération d'artistes juifs trouve ce goût du "primitif" dans leur passé inexploré.
De son expédition en Ukraine, parmi les multiples légendes entendues et recueillies, Shalom Anski retient celle d'un amour interdit au sein d'une communauté hassidique, en Ukraine, au milieu du XIXe siècle, où une jeune femme, possédée par l'esprit du jeune homme avec lequel elle n'a pu se marier, finit par en mourir. L'intellectuel retient le surnaturel à l'œuvre dans cette histoire, mais aussi sa plasticité au moment où les âmes errantes renvoient aux pogroms d'Europe centrale du début d'un XXe siècle qui n'a pas fini d'être meurtrier.
De cette légende, Shalom An-ski va tirer une pièce de théâtre, Le Dibbouk - "dibouk" signifie "attachement" en hébreu, en référence à l'esprit qui habite le corps d'un individu auquel il reste attaché -, qui s'impose, dès sa première représentation, en 1920, à Varsovie, comme le texte le plus célébré du canon yiddish. La première œuvre aussi à sortir du strict cadre communautaire juif.
La pièce est mise en scène un an plus tard, en 1921, à Moscou, en hébreu, par une troupe, Habima, qui deviendra la compagnie emblématique du futur État d'Israël.
Hanna Ravina dans Le Dibbouk - Théâtre Habima, Moscou, 1922
Par l'exploration artistique de ce thème au théâtre, au cinéma et dans les arts plastiques, l'exposition propose d'appréhender le Dibbouk à la fois comme un objet majeur de la culture juive moderne mais aussi comme une clef de compréhension de l'identité juive, obsédée par un passé souvent traumatique, par la disparition de ceux qui nous ont précédés et par la peur de se diluer dans la société contemporaine.
Cette exposition au musée d'art et d'histoire du judaïsme - mahJ - a reçu le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
Du jeudi 26 septembre 2024 au dimanche 26 janvier 2025
MahJ
71 rue du Faubourg du Temple
75003 Paris
Marc Chagall (Empire Russe, 1887 - Saint-Paul-de-Vence,1985) - Les Portes du cimetière, 1917, mahJ, dépôt du musée national d'Art moderne