Culture juive | Publication
Heures rapiécées, poèmes en vers et prose - Avrom Sutzkever
Cette anthologie rassemble des poèmes du grand écrivain yiddish Avrom Sutzkever, écrits entre 1936 et 1996. Ces textes attestent de la puissance de la poésie pour témoigner de l'horreur nazie et résister à l'anéantissement.
Avrom Sutzkever est un écrivain et poète majeur de la culture yiddish, dont l'œuvre traverse tout le XXe siècle et en raconte les tragédies. C'est à la poésie qu'il doit son salut. Littéralement une fois, quand, obligé de traverser un champ de mines sous la neige dans la forêt de Narotch, il a accordé ses pas au rythme d’un poème récité à voix basse. C’est également avec la poésie qu’il affrontera les bas-fonds du ghetto de Wilno et la mort de son enfant, et c’est encore avec elle qu’il renaîtra grâce à sa langue, le yiddish, auquel il gardera un attachement viscéral.
Cette anthologie rassemble des textes écrits sur trois quarts de siècle et tirés de tous ses ouvrages publiés, depuis Sibérie (1936) jusqu’à Murs effondrés (1996).
Une partie importante est consacrée à l’écriture quotidienne du ghetto et de sa résistance, mais l’ensemble de près de 400 poèmes en vers et prose, extraits de 22 recueils, résonne au-delà de la seule réalité à laquelle Sutzkever fut confronté. Il témoigne d'un véritable engagement poétique visant à garder la mémoire des visages et des mots de ceux que la barbarie a voulu effacer, les inscrivant en "lettres plus éternelles que le temps" dans le livre de la vie.
chant d'un poète juif en 1943
suis-je le dernier poète d'europe?
mon chant pour cadavres, corbeaux ?
je sombre dans le feu, les marais l'immondice
captif des heures rapiécées d'étoiles jaunes.je dévore mes heures de mes crocs de fauve
don d'une larme maternelle. dans la larme je vois
le cœur million-d'ossements
qui afflue au galop vers moi.je suis le coeur million-d'ossements ! le gardien
de leurs chants décimés
et dieu, dont les biens sont calcinés,
se cache en moi, comme dans un puits, le soleil.(Ghetto de Wilno, 22 juin 1943)
(Le yiddish n'ayant pas de mode majuscule, ce poème est reproduit ici tel que publié).
Avrom Sutzkever. Photo extraite du film Miel noir, de Uri Barbash. Crédit : mahJ
Né en Biélorussie en 1913, Avrom Sutzkever grandit en Sibérie puis à Wilno, alors en Pologne. Il commence très jeune à écrire et fait partie du mouvement d'avant-garde artistique yiddish. Avec sa femme Freydke, il est enfermé dans le ghetto et leur enfant y est tué le jour de sa naissance en 1942, puis c'est sa mère qui est assassinée. Prenant une part active à l’organisation de la vie sociale et culturelle du ghetto de Wilno, il œuvre aussi au sein de la "Brigade de papier" qui sauve de la destruction et des pillages allemands des milliers de livres et documents du patrimoine juif et mondial.
Ayant pu s’échapper avec Freydke quelques jours avant la liquidation du ghetto en septembre 1943, ils rejoignent les groupes de partisans réfugiés dans les forêts alentour. Exfiltré à Moscou sur ordre de Staline en mars 1944, il prend la parole devant le Comité antifasciste juif, appelant "les juifs au combat et à la vengeance".
En 1946, Sutzkever témoigne au procès de Nuremberg et, après un séjour à Moscou, il s’installe à Tel Aviv, en 1947. C’est là qu’il poursuit son œuvre et édite de 1949 à 1995, l’une des plus importantes revues de littérature yiddish, Di Goldene Keyt (La Chaîne d’or). En 1985, il obtient le Prix d’Israël pour l’ensemble de son œuvre et meurt en 2010.
Publié aux Éditions de l'éclat, ce livre, dont l'avant-propos est signé Patricia Farazzi, a été traduit du yiddish et présenté par Rachel Ertel.
Rachel Ertel a reçu le prix Bernard-Hoepffner 2021 pour cette traduction.
Ce recueil de poèmes a été publié avec le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.