Culture juive |
Étude patrimoniale en vue du classement de la synagogue Art nouveau de la rue Pavée
La synagogue de la rue Pavée, unique exemple d'édifice cultuel de style Art nouveau, est toujours la propriété de la communauté orthodoxe Agoudas Hakehilos qui fut principalement d'origine russe quand elle s'est constituée à Paris dans les années 1910. Malgré sa valeur patrimoniale incontestable, la synagogue a subi les dommages du temps. Une étude patrimoniale en vue de son classement au titre des Monuments historiques et de sa rénovation vient d'être réalisée.
La synagogue de la rue Pavée, située à Paris dans le Marais, constitue l'unique exemple français, voire mondial, de synagogue de style Art Nouveau, et fut d'ailleurs le seul édifice religieux dessiné par l'architecte Hector Guimard, plus connu pour les nombreuses bouches de métro encore visibles dans le paysage parisien.
Ce n'est pas le moindre paradoxe qu'une communauté orthodoxe, Agoudas hakehilos, ait fait appel à Hector Guimard, un des architectes les plus modernes de son temps, pour construire une synagogue dans le Marais. On s'interrogera sur cette rencontre qu'on explique trop aisément par la judéité de l'épouse de l'architecte… Car la technique constructive et les options esthétiques de l'Art nouveau, éloignée des modèles consistoriaux, s'avèrent ne pas s'opposer aux valeurs du judaïsme orthodoxe, ni à son projet de transmission d'une identité spécifique.
Dominique Jarassé, professeur émérite d'histoire de l'art, université Bordeaux Montaigne
L’association Agoudas Hakehilos (signifiant "Union des Communautés") réunit neuf sociétés d’israélites orthodoxes originaires de l’est, en particulier de Russie. Ayant du mal à s’intégrer au sein du Consistoire et encouragée à créer leur propre communauté après la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, l’association achète une parcelle longue et étroite en 1911 dans le Marais. Son président Joseph Landau est alors le principal initiateur et financeur de l’entreprise. Sur cet emplacement très contraint, Guimard va concevoir la synagogue comme une œuvre totale, concevant une structure à deux étages de tribunes et dessinant jusqu’aux moindres détails du décor végétal et du mobilier (bancs et luminaires). L'ondulation de la façade extérieure rappelle les rouleaux de la Torah et les fenêtres de cette même façade, les tables de la Loi. À l'intérieur, garde-corps et rampes d’escalier sont des modèles issus du catalogue datant de 1907 qu’il a lui-même réalisé avec les fonderies de Saint-Dizier.
Guimard a respecté toutes les règles orthodoxes concernant le Amoud (pupitre avancé), la Bima (plate-forme centrale) et le Aron (Armoire des Rouleaux de la Torah).
En fonction dès octobre 1913, la synagogue n’a jamais fermé, malgré des dommages importants suite à une explosion au gaz en 1934 ayant entraîné quelques modifications de la façade et un attentat en 1941 sans conséquences. Elle a connu quelques restaurations au cours du temps et des modifications, dont la plus regrettable est la construction d’une salle d’étude au-dessus de l’édifice en 1989, entraînant l’obstruction des verrières zénithales l’éclairant de manière naturelle.
Malgré sa valeur patrimoniale incontestable, elle n’est inscrite au titre des Monuments historiques qu’en 1989. Le manque de moyens et donc d’investissements de la part de la communauté qui anime toujours cette synagogue a conduit l’édifice à se détériorer fortement, notamment à cause d'infiltrations d'eau qui ont entraîné des désordres dans tout le bâtiment.
Après avoir aidé à la réparation d’un plancher effondré sur une partie latérale et au renouvellement de la chaufferie, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, avec d’autres partenaires, a soutenu la réalisation d’une étude patrimoniale. Celle-ci a permis d’établir un diagnostic général de l’ensemble de l’édifice en vue de son classement au titre des Monuments historiques, et cette procédure a aussi pu fixer l’ampleur de la restauration nécessaire ainsi que le coût des travaux pour la réaliser.
Orthodoxie et art nouveau. Une synagogue d’Hector Guimard rue Pavée
Conférence de Dominique Jarassé au mahJ - 10 mai 2023