La Fondation | Hommages
Disparition d'Henri Borlant
Nous avons appris avec une grande tristesse la disparition d'Henri Borlant, le 3 décembre 2024, dans sa 98e année. Né à Paris, en 1927 dans une famille venue de Russie, il est évacué dès 1939 vers le Maine-et-Loire. Déporté vers Auschwitz-Birkenau par le convoi n°8, parti d'Angers le 20 juillet 1942, avec son père, un frère et une sœur aînés, il sera le seul à revenir. Il retrouvera sa mère et ses frères et sœurs, cachés par des Justes. Devenu médecin, choqué par le procès Touvier de 1994, il ne cessera plus dès lors de témoigner. Nous adressons nos plus sincères condoléances à son épouse et à ses proches.
Né à Paris le 5 juin 1927, Henri Borlant est le quatrième enfant d'un couple modeste, des Juifs russophones, venus de la région d'Odessa pour le père et de Kichinev en Bessarabie pour la famille de la mère. Ils vivent d'abord dans le 18ᵉ arrondissement, puis obtiennent un logement HBM dans le 13ᵉ arrondissement, rue Château-des-Rentiers quand la famille s'agrandit (elle comptera 9 enfants). Le père Aron est tailleur à domicile, la mère Rachel l'aide. En 1939, à la déclaration de guerre, la famille est évacuée vers le Maine-et-Loire comme beaucoup de familles nombreuses du 13ᵉ.
En juillet 1942, Henri qui vient d'avoir 15 ans, est arrêté avec son père, son frère Bernard, 17 ans et sa sœur Denise, 21 ans. Ils sont déportés par le convoi n°8 qui part d'Angers le 20 juillet 1942 avec 879 Juifs raflés dans tout l'ouest de la France. Parmi les 77 convois partis de France, c'est le seul qui n'est pas allé pas vers Drancy, mais directement vers Auschwitz-Birkenau. Soutenu par son frère à ses débuts à Birkenau quand il attrape très vite le typhus, il est envoyé ensuite un an à Auschwitz I. Quand il revient à Birkenau, il apprend que son père et son frère sont morts. Malgré le froid, la faim et les mauvais traitements inhumains qu'il racontera plus tard, il s'accroche à la vie, apprend le yiddish, l'allemand et trouve du réconfort auprès des Français du camp, dont deux médecins de son convoi.
Fin octobre 1944, il est évacué vers le centre de l'Allemagne : Oranienburg puis Ohrdruf, un camp satellite de Buchenwald. Alors que le camp va être évacué face à l'avancée des Américains, il s'évade avec des amis. Finalement, il est rapatrié en France et retrouve dans leur appartement de la rue Château-des-Rentiers, sa mère et ses cinq petits frères et sœurs qui ont survécu dans le Maine-et-Loire grâce à l'aide du maire et des habitants, faits ensuite Justes parmi les nations. Son frère aîné Léon, soldat puis résistant, a survécu aussi. En revanche, ses grands-parents maternels, déportés, ont été assassinés à Auschwitz-Birkenau comme sa tante Fanny Beznos, résistante. Il doit annoncer à sa mère que son mari et deux de ses enfants ne reviendront pas, mais ne se souvient pas des circonstances de cette annonce.
Dans l'immédiate après-guerre où subsistent les rationnements, la vie matérielle pour une famille nombreuse sans père est difficile, mais Henri a développé sa débrouillardise et sait utiliser les services sociaux en faisant valoir sa condition de victimes de guerre. Poussé par le médecin Désiré Hafner, dont il est resté proche depuis leur déportation, il reprend ses études, arrêtées au certificat d'études. En deux ans et demi, il saute des étapes et parvient à passer son bac et à intégrer la faculté de médecine. Malgré une tuberculose pulmonaire attrapée en déportation qui le conduira à plusieurs séjours en sanatorium, en 1956 il obtient son diplôme de médecin et en 1958, s'installe comme généraliste dans le 11ᵉ arrondissement à Paris. Il se marie avec Hella, une jeune Allemande venue l'aider dans son cabinet et de cette histoire d'amour naîtront quatre filles.
Henri Borlant témoignant auprès des élèves du lycée Henri Bergson d'Angers au Mémorial de la Shoah à paris dans les années 2010.
Resté très proches de ses amis de déportation Jacques Altmann et Adolf Bekas avec qui il pouvait évoquer leurs souvenirs, Henri Borlant avait compris dès son retour des camps que la parole des déportés était très difficile à entendre, en particulier pour les proches des déportés.
Pourtant, en 1974, il fait une rechute de tuberculose puis une dépression nerveuse. Il entame alors une psychanalyse. Comme il l'explique dans son témoignage "Merci d'avoir survécu", paru au Seuil en 2011, d'après un petit mot glissé par un élève qui l'avait entendu témoigner, c'est l'arrêt Touvier en 1994, disculpant le régime de Vichy de ses responsabilités dans la persécution des Juifs de France, qui l'a décidé à témoigner, ce qu'il a fait sans discontinuer jusqu'à sa mort.
Il a par ailleurs été membre de la commission Mémoire et transmission de 2007 à 2019 de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et membre du comité de lecture de la collection Témoignages de la Shoah de 2009 à aujourd'hui.
Photo de couverture : Henri Borlant, déporté à 15 ans, et Salomon Manns, 15 ans, photographiés par Karine Sicard Bouvatier pour son livre Déportés. Leur ultime transmission, Éditions de La Martinière, avril 2021.
Cette photo a fait la couverture de notre Rapport d'activité 2020.
Publié le 04/12/2024