Mémoire | Film
Pologne, contre-histoire - Joanna Grudzinska
Ce film retrace sur le temps long, de 1945 à nos jours, la manière dont la Pologne a été forcée par quelques historiens courageux à regarder son histoire en face, et notamment la responsabilité directe de citoyens polonais dans les pogroms antisémites pendant la guerre et après. Malgré les intimidations, ce groupe de chercheurs continue de faire la lumière sur ce passé douloureux.
Ce film fait le récit d'une confrontation dont les historiens ont été les principaux acteurs : celle de la Pologne avec sa mémoire, en particulier sur les crimes antisémites commis par des Polonais durant la Seconde Guerre mondiale et après, lors des différentes vagues qui ont secoué le pays.
Il s'attarde notamment sur le livre de Jan T. Gross, Les Voisins (2000) sur le progrom de Jedwabne en 1941, qui avait produit une déflagration sur la société polonaise lors de sa sortie, comme le montrent de nombreuses archives télévisuelles méconnues. Il donne aussi la parole à d'autres historiens de la "Nouvelle école polonaise d'histoire de la Shoah", dont Jan Grabowski, Barbara Engelking, Jacek Leociak, Elzbieta Janicka. Pour avoir voulu dire la vérité historique, ces historiens ont été attaqués par le gouvernement nationaliste polonais au pouvoir à partir de 2010, qui a tenté d'éradiquer de l'espace public polonais tout discours évoquant une quelconque responsabilité polonaise dans la Shoah.
Le mérite de ce film est de dérouler cette histoire sur le temps long, depuis la toute fin de la guerre, alternant les étapes d’acceptation et de rejet par la société polonaise de sa propre histoire.
En 1987, 13 ans avant le livre de Jan T. Gross, un premier texte révélateur de cette prise de conscience collective avait été écrit par l'historien Jan Blonski sous le titre "le pauvre Polonais regarde le ghetto" :
« Ah vous aussi vous avez servi la mort ? vous avez aidé à tuer ? Ou du moins vous avez regardé tranquillement la mort juive ?
Nous ne voulons pas que la question vienne. Nous la repoussons comme une question impossible, scandaleuse. Puisque nous ne sommes pas mis du côté des assassins. Puisque nous venions immédiatement après dans la file d’attente des fours crématoires. Puisque nous vivions ensemble, certes pas le mieux du monde, mais quand-même ensemble avec ces Juifs qui eux-mêmes n’ont pas été sans faute dans nos querelles. Nous sommes obligés donc de rappeler tout ça sans arrêt. Sinon qu’est- ce que penseraient de nous les autres ? Que penserions-nous de nous-mêmes. Autrement dit, lorsqu’il nous arrive de réfléchir à notre passé, nous voulons en retirer un avantage moral. Même quand nous condamnons nous voulons rester au-dessus ou en dehors de la condamnation. Nous voulons être absolument hors de toute accusation, nous voulons être entièrement propres. Et nous voulons aussi et seulement être des victimes. »
Ce film donne l'occasion de rappeler la nécessité de défendre la vérité historique, malmenée jusque très récemment, notamment lors d'un colloque soutenu par la FMS qui s'était tenu à Paris en 2019, et durant lequel une trentaine d'individus avaient interrompu les interventions des historiens français et polonais, en proférant des injures antisémites et en distribuant des tracts. L'École des Hautes études en sciences sociales avait reçu des mails et des appels téléphoniques d'intimidation pour annuler ce colloque.
Les historiens Barbara Engleking, Jacek Leociak et Jan T. Gross
Documentaire, 2024 / 90 mn / Arte / Zadig productions.
Ce documentaire a reçu le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
Projection-rencontre
Jeudi 21 novembre 2024, 19h
Mémorial de la Shoah
21 rue Geoffroy L'Asnier
75004 Paris
Projection suivie d'un débat animé par Judith Lyon-Caen, historienne, directrice d'études à l'EHESS, avec la réalisatrice et Jan T. Gross, historien, professeur émérite à l'université de Princeton (États-Unis).