La Muette. Drancy, un camp aux portes de Paris - Valérie Villieu et Simon Géliot

Le 20 août 1941, la police française arrête quelque 4000 habitants du 11e arrondissement de Paris, tous des hommes de confession juive… Quelques jours plus tard, ils se retrouvent emprisonnés dans la cité de La Muette à Drancy. Durant trois années, la cité verra ainsi passer 67 000 hommes, femmes et enfants juifs en partance pour les camps de la mort. 

C'est donc l'histoire de ce camp qui est racontée dans cet album de 300 pages qui donne à voir, en détails et de l'intérieur, son organisation, son évolution et le quotidien des internés qui y sont passés. Un quotidien fait de privations, de mauvais traitements, d'humiliations, mais aussi de débrouille et de solidarité entre les prisonniers. Au fil du récit, nous suivons le parcours de plusieurs d'entre eux, Béno, Nathan, Jean, Chil, Chana, Herman et bien d’autres… En enfermant le lecteur avec les internés, en le mettant au même niveau d'ignorance sur leur destin, les auteurs lui font partager les mêmes sentiments d'angoisse, de peur et de désespoir. Le choix d'une déclinaison monochromatique de la couleur bleue, naturellement froide, accentue encore la dimension du huis clos désespérant. Valérie Villieu et Simon Géliot s'attachent à quelques trajectoires individuelles, dont certaines sont absolument bouleversantes, comme celle de Nathan, interné depuis le début et qui voit arriver, le 15 août 1942, son petit garçon Simon avec les autres enfants internés dans les camps du Loiret, après la rafle du Vel d'Hiv' où sa femme a été arrêtée avec leur enfant, mais déportée avant lui.  

L'album rend parfaitement compte de la litanie d'arrivées au camp suite aux rafles et de départs de convois pour la déportation, une destination inconnue de tous les innocents emprisonnés dans ce sinistre complexe immobilier insalubre. Sans cesse, les limites de la souffrance furent repoussées à Drancy, mais la foi en un avenir meilleur permit à certains de tenir bon, jusqu’au bout.

Après Deux Hivers, un été, où Valérie Villieu racontait le destin de deux sœurs cachées vers Grenoble, Wally et Marcelle Danzig, elle s'attache dans cet album à la figure de leur frère Béno, un des personnages principaux, interné dès août 1941 et déporté par le premier convoi du 27 mars 1942, et de leurs parents, dont aucun ne reviendra d'Auschwitz-Birkenau. 

Valérie Villieu a lu une grande part de ce qui a été écrit sur le camp de Drancy, écouté de nombreux témoignages, traqué avec minutie et scrupule chaque détail, jusqu’au plus infime. Simon Géliot, en s’inspirant des photos et des nombreux dessins de détenus, donne un visage, un corps aux acteurs de cette histoire dont il peint le cadre avec réalisme et élégance. Cette toute première bande dessinée sur le camp de Drancy, une fiction d’une rigoureuse exactitude historique, est en cela une réussite.

Annette Wieviorka

À paraître aux éditions La Boîte à Bulles mercredi 2 avril 2025.

Préface d'Annette Wieviorka. 

Cet ouvrage a reçu le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. 

Des rencontres sont organisées avec les auteurs, à Paris, Vincennes, Lyon et Châteauroux : tous les renseignements figurent sur le site de l'éditeur.